"Les 100" - 2018
Extraits de l’ouvrage de Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, « All gone into the world of light » -
« La plupart du temps la forêt a recouvert les espaces où, à travers champs, crêtes, bois et boqueteaux de plus en plus défigurés, zigzaguaient les lignes de tranchées. Mais le sol de ces forêts aux arbres souvent déjà devenus bien hauts et de belle apparence présente l’anomalie d’un bosselage constant, avec des trous et des cratères plus ou moins grands, plus ou moins réguliers, avec aussi, parfois, des fragments de tranchées recouverts de mousse et d’éboulis où l’on peine à reconnaître ce que les photographies et le cinéma d’actualité (qui fit là ses débuts) nous ont montré à satiété, à savoir ces rainures boueuses où les vivants ont tous l’air de morts futurs et ces mares stagnant au fond d’un cratère d’où émergent deux ou trois corps renversés. »
« les entonnoirs […] sont de la cicatrice nue. »
«Aux Éparges on dirait […] qu’une monstrueuse gigantomachie s’est déroulée. Ce qui veut dire que la dimension, forcément, est celle du mythe et qu’il y a là un tel ravage, une telle puissance de silence retombé que l’on ne parcourt ces espaces que dans la perplexité la plus grande, la tristesse ne venant que peu à peu puis devenant si énorme qu’on finit par repartir presque en s’enfuyant. On longe les bords des cratères dénudés, les plus grands d’entre eux formant d’extravagantes clairières, on en voit les bosselages et les formes amples, ce pourrait être un parc où un jardinier fou aurait eu le génie et les moyens de culbuter des milliers de mètres cubes pour obtenir ces formes arrondies, couvertes de mousse et de feuilles mortes dont le déploiement produit une vibration si sombre qu’en comparaison les dernières notes expirantes du Chant de la Terre ressemblent presque à une comptine.»